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Vue aérienne de quelques bâtiments de l’université Gustave Eiffel.
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Du LCPC à l’université Gustave Eiffel
Jean-Bernard KovarikVice-président Appui aux politiques publiques - Université Gustave Eiffel

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Le 1er janvier 2020 est créée l’université Gustave Eiffel. Cette fusion de l’université Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEM) et de l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar) fait naître un nouvel objet dans le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui intègre : l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Est (Éav&t), l’École des ingénieurs de la ville de Paris (EIVP), l’ENSG-Géomatique de l’Institut national de l’information géographique et forestière et l’ESIEE Paris, école de la chambre de commerce et d’industrie de région Paris Île-de-France.

L’histoire se déroule au rythme des transformations, regroupements, séparations… Les organismes qui se succèdent ne sortent pas du néant. Ils héritent des cultures et portent les traditions des établissements qui les ont précédés. Selon les termes du décret n° 2019-1360 du 13 décembre 2019 portant création de l’université Gustave Eiffel et approbation de ses statuts, cette université en effet « assure l’ensemble des missions et activités […] de l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar) ».

Mais, moins de dix ans plus tôt, le décret n° 2010-1702 du 30 décembre 2010 portant création de l’Ifsttar indique que « l'institut est substitué au Laboratoire central des ponts et chaussées (LCPC) et à l'Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (Inrets) dans les droits et obligations de chacun des deux établissements ».

Un saut de soixante ans en arrière nous révèle la constitution du LCPC par le décret n° 49-190 du 9 février 1949 réorganisant le laboratoire de l’École nationale des ponts et chaussées (ENPC) : ce service dorénavant indépendant de l’ENPC « relève du ministère des Travaux publics et des Transports », mais continue à « concourir à l’enseignement pratique des élèves de l’École nationale des ponts et chaussées ». D’ailleurs, les professeurs de l'ENPC « peuvent être autorisés à exécuter ou à faire exécuter gratuitement des recherches scientifiques et techniques au LCPC ».

L’université Gustave Eiffel se révèle in fine l’héritière du laboratoire – probablement l'un des plus anciens laboratoires de génie civil – dont s’était doté l’ENPC vers 1830 afin d'exercer les élèves aux analyses des pierres à chaux et aux essais de pierres gélives.

Du LCPC à l’Ifsttar

« Le LCPC, acteur du génie civil durable » : ces mots forment le titre de l’ouvrage publié en 2009 à l’occasion du soixantième anniversaire du LCPC1. L’urgence de la reconstruction de l’après-guerre et de l’établissement d’un réseau autoroutier a fort occupé les agents pendant plusieurs décennies. Au fil du temps, la demande a évolué, passant de la conception-construction du programme autoroutier à l’entretien-maintenance d’un patrimoine considérable de chaussées et d’ouvrages d’art :

  • La modernisation des équipements de la route et le réaménagement progressif des sections les plus accidentogènes, couplés à un renforcement des équipements de sécurité embarqués dans les véhicules, ont grandement contribué à la réduction de l’insécurité routière sur la durée.
  • Les vagues de décentralisation de la gestion des infrastructures routières ont démultiplié les interlocuteurs du LCPC.
  • À l’enjeu de construire vite et bien se sont ajoutés d’autres objectifs fédérés sous la bannière du « développement durable » : réduire les émissions directes et indirectes de CO2, économiser l’énergie de l’usage des infrastructures, de leur construction et de leur régénération, réduire les nuisances du transport (bruit et pollution), rétablir des environnements plus favorables à la bio-diversité, etc.

En soixante ans, les effectifs du LCPC sont passés de 28 à 650 personnes. Des matériels sont conçus pour tester ou analyser des matériaux et des ouvrages ; on s’équipe progressivement d’appareillages scientifiques de grandes dimensions ; des brevets sont déposés ; de nouveaux procédés constructifs sont imaginés, testés, corrigés, validés avec les acteurs socio-économiques et déployés en France puis dans le monde ; les agents transfèrent leurs connaissances dans de nouvelles normes et méthodes qui assurent la qualité et l’homogénéité du secteur de la construction ; très vite, avec le développement de l’informatique, on écrit des logiciels qui permettent de gagner en temps et en performances.

Tout ceci est rendu possible par une collaboration exemplaire avec le Sétra (Service d’études techniques des routes et autoroutes) et les laboratoires régionaux des ponts et chaussées (LRPC), constitués en réseau dans les territoires au sein des Cete (Centres d’études techniques de l’Équipement) et animés techniquement par le LCPC, dont un instrument emblématique est le Bulletin de liaison des laboratoires des ponts et chaussées (BLPC). Le LCPC accompagne la création de l'Irex (Institut pour la recherche appliquée et l'expérimentation en génie civil) en 1989. Puis, avec quelques autres laboratoires publics, le LCPC crée le Réseau national d’essais (RNE), devenu le Comité français pour l’accréditation (Cofrac) en 1994. Les premières Journées techniques Route (JTR)2 et Journées Ouvrages d’art (JOA) sont lancées au cours des années 1990.

Trois grandes dates auront marqué la vie du LCPC :

  • 1962 : c’est le rude hiver à l’issue duquel un linéaire absolument considérable de chaussées insuffisamment dimensionnées se fissure et cède sous le poids des essieux. Le gouvernement fait appel au LCPC pour lancer un programme de réduction de la vulnérabilité au gel de l’ensemble du réseau routier.
  • 1975 : c’est l’ouverture d’un nouveau site du LCPC à Nantes (Bouguenais) sur un vaste terrain de 150 ha. Le site annexe d’Orly ouvert une dizaine d’années auparavant était effectivement devenu trop étroit. Le LCPC va enfin pouvoir déployer des grands équipements scientifiques à la hauteur des ambitions et des besoins (manège de fatigue3-4, centrifugeuse géotechnique, piste de glissance, station d’essais des câbles métalliques…) (photo 1).
  • 1998 : changement stratégique, le LCPC rentre dans la famille très sélective des établissements publics à caractère scientifique et technique (EPST) – même statut que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) – et développe une activité académique. Doté d’une personnalité morale et juridique, il gagne en indépendance et peut accueillir un nombre croissant de doctorants. Cette évolution fait sens dans le contexte d’internationalisation accélérée des communautés scientifiques et techniques. Une dizaine d’années auparavant, le LCPC avait d’ailleurs participé à la fondation du Forum of European National Highway Research Laboratories (FEHRL), et l’on ne compte plus le nombre de coopérations techniques dans le domaine des routes et des ouvrages d’art menées dans toutes les parties du monde.

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Manège de fatigue sur le campus de Nantes de l’université Gustave Eiffel
Manège de fatigue sur le campus de Nantes de l’université Gustave Eiffel
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Le LCPC intensifie sa participation active aux travaux de l'Association mondiale de la route (AIPCR, ou en anglais Piarc), dont plusieurs secrétaires généraux, secrétaires généraux adjoints, présidents et secrétaires des groupes de travail sont issus de ses membres.

En 2011, les deux EPST sous tutelle du ministre chargé du Développement durable, le LCPC et l’Inrets, fusionnent. Le nouvel établissement prend le nom d’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar).

De l’Ifsttar à l’université Gustave Eiffel

« L’Ifsttar, acteur clé de l'espace européen de la recherche, centré sur les défis à relever pour les transports, le génie civil et les territoires de demain » : ces mots sont posés très exactement dans les orientations stratégiques du premier contrat d’objectif et de performance de l’Ifsttar avec ses ministères de tutelle (Développement durable et Recherche).

Les thématiques d’excellence des deux établissements fondateurs rendent l’Ifsttar tout à fait pertinent pour aborder les questions complexes de la transition écologique, énergétique, numérique… en croisant les approches mathématiques, physiques, humaines, sociales, économiques, géographiques..., les sciences et technologies physiques, chimiques, mécaniques, informatiques, et aussi du vivant… Le corps des chargés de recherche et directeurs de recherche du développement durable est créé en 2014, par regroupement des corps de chercheurs de l’Inrets et de l’Équipement.

Plus courte sera toutefois la vie de l’Ifsttar : neuf ans. Mais cette période est riche en événements. Le paysage institutionnel évolue considérablement :

  • L’Institut des routes, des rues et des infrastructures de mobilité (Idrrim) vient juste d’être créé en 2010, à l’initiative du ministère chargé du Développement durable, de l’Assemblée des départements de France et des fédérations nationales de l’ingénierie privée et des travaux publics, et avec le soutien opérationnel du LCPC en train de devenir l’Ifsttar.
  • Puis, en 2013, un nouvel établissement, le Centre d’études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), réunit dans une maison commune le Sétra, les Cete avec leur LRPC, ainsi que d’autres services techniques du ministère, et développe une grande partie de ses activités au bénéfice des collectivités territoriales.

Il s’ensuit un réexamen des relations entre les deux organismes qui auront des impacts notamment sur la production de doctrine technique et les activités de certification, dont une partie sera transférée au Cerema.

Avec un déménagement dans des conditions matérielles difficiles fin 2012 de ses installations historiques du boulevard Lefebvre (Paris 15e) vers la cité Descartes à Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne), l’Ifsttar installe son siège au voisinage immédiat de l’ENPC. L’institut renouvelle alors ses programmes de recherche et intensifie ses équipements de plates-formes expérimentales remarquables :

  • Construction de la chambre climatique Sense-City à Champs-sur-Marne (Equipex) : une « mini-ville » permettant de programmer des conditions climatiques spécifiques pour étudier la performance d’aménagements, de capteurs et de matériaux urbains, la pollution de l’atomosphère, de l’eau ou des sols5.
  • Réaménagement et création, en partenariat avec la société Transpolis, d'une plate-forme de 80 ha sur le site des Fromentaux dans l’Ain6, avec des pistes pour évaluer les dispositifs de retenue, développer les véhicules automatisés et connectés, et un espace de 30 ha reconstituant une ville à l’échelle 1 (photo 2).
  • Intégration à la Très grande infrastructure de recherche (TGIR-CNRS) THeoREM (photo 3), plate-forme d’essais en hydrodynamique et pour les énergies marines renouvelables (EMR), en partenariat avec Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) et l’École centrale de Nantes.
  • Station d’essais des chutes de blocs rocheux en vraie grandeur près de Chambéry (Savoie), en partenariat avec Vicat. Le Réseau accélérométrique permanent (RAP) observe les mouvements sismiques du territoire national et alerte en temps réel.

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Campus de Lyon : une ville expérimentale pour les mobilités et la sécurité réalisée en partenariat avec Transpolis SA.
Campus de Lyon : une ville expérimentale pour les mobilités et la sécurité réalisée en partenariat avec Transpolis SA.
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Campus de Nantes : banc de fatigue des câbles, un des moyens d’essais de THEeoREM.
Campus de Nantes : banc de fatigue des câbles, un des moyens d’essais de THEeoREM.
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L’Ifsttar lance le programme Route de cinquième génération (R5G), intensifie sa participation aux projets nationaux (PN) de l’Irex, explore la capture de CO2 dans les bétons de démolition (projet FastCarb7), recherche des solutions bio-sourcées alternatives aux liants hydrocarbonés d’origine fossile (projets Algoroute, Biorepavation8…) s’investit dans la recherche sur les argiles sensibles et les risques sur le bâti causés par la sécheresse.

En 2014, l’Ifsttar relève le défi d’organiser à Paris-La Défense la 5e édition du congrès européen Transport Research Arena (TRA)9. C’est un succès. Le nombre de participants – près de 3 000 – dépasse largement celui des éditions précédentes. TRA passe à une nouvelle échelle et continuera de se développer par la suite.

La baisse de 20 % des effectifs sur la décennie « Ifsttar » affecte les laboratoires et les fonctions support. Elle rend nécessaire de prioriser les axes et objectifs de recherche, alors que l’urgence de la transition écologique se fait de plus en plus pressante. Portés par la labellisation I-Site du projet Future, le 1er janvier 2020, l’Ifsttar et l’université Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEM) fusionnent leurs personnalités morales et juridiques pour former l’université Gustave Eiffel, établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) expérimental (EPE) régi par l’ordonnance n° 2018-1131 du 12 décembre 2018.

L’université Gustave Eiffel

« L’université Gustave Eiffel regroupe tous les domaines mobilisables pour une évolution durable des territoires et des villes de demain » : ces mots figurent en bonne place dans le décret n° 2019-1360 du 13 décembre 2019 précité. Ils sont l’expression immédiate de la thématique phare de la ville durable autour de laquelle s’est construit le projet I-site Future, en partenariat avec l’ENPC.

Avec ses 17 000 étudiants et ses 2 300 personnels aux statuts variés (enseignement et recherche), l’université Gustave Eiffel couvre désormais trois grands secteurs de formation : lettres et sciences humaines et sociales ; disciplines juridiques, économiques et de gestion ; sciences et technologies. Elle comprend également l’architecture et les domaines associés.

Rien d’étonnant au vu de ce qui précède qu’à côté des missions de formation (16 composantes de formation) et de recherche (23 composantes de recherche), elle ait reçu dans ses statuts une mission particulière d’appui aux politiques publiques qu’elle peut déployer au plus proche des territoires grâce à ses diverses implantations géographiques en France. L’université continue ainsi à œuvrer en normalisation, certification, innovation technique, avec une participation accrue au Comité d’innovation routes et rues (CIRR), et intensifie progressivement son expertise propre pour différents bénéficiaires publics ou privés.

Le rapprochement opérationnel des activités de recherche et de formation se construit peu à peu :

  • L’université a reçu un mandat national pour co-piloter deux Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) afin de structurer et d’animer la communauté scientifique nationale sur les sujets « ville » et « mobilité ».
  • Elle s’implique dans le projet Sci-ty de prématuration-maturation des jeunes entreprises innovantes, dans le projet City-fab de recherche-action avec les collectivités territoriales, dans les réseaux européens comme Driving Urban Transition (DUT) ou le Point d’information national (PIN) « Ville ».
  • Elle fait évoluer son offre de formation vers la transition écologique et l’adapte aux nouveaux métiers.
  • Elle se positionne en tête de réseau d’un ensemble d’universités partenaires en Europe sur le thème de la ville, dans le cadre de l’alliance Pioneer.
  • C’est la première université professionnalisante en France, avec un quart de ses étudiants en apprentissage ou contrat de professionnalisation.

Conclusion

La récente relance de la démarche de doctrine technique routière par le ministère de la Transition écologique, en partenariat avec les acteurs historiques, qu’ils soient publics ou privés, en responsabilité dans l’enseignement, la recherche ou l’innovation, gestionnaires, constructeurs ou exploitants... invite l’université Gustave Eiffel et ses proches partenaires à poursuivre leur structuration sur ce domaine.

Ensemble, ils doivent pouvoir donner encore plus de visibilité et d’efficacité à leurs actions concertées et réussir la transition écologique des infrastructures et des mobilités.

À retenir• L’université Gustave Eiffel, créée en 2020, est l’héritière de l’Institut français des sciences et technologies des transports, né en 2011, lui-même héritier du Laboratoire central des ponts et chaussées (LCPC), constitué en 1949.
• Au fil de son évolution, cet organisme d’enseignement et de recherche qui compte désormais 2 300 personnels aux statuts variés pour 17 000 étudiants a vu ses projets de recherche se multiplier et ses champs de compétences s’étendre considérablement.
• La démarche de la doctrine technique routière française invite l’université Gustave Eiffel et ses proches partenaires à poursuivre leur structuration sur ce domaine.

Références

  1. Y. Bamberger et al., Le LCPC, acteur du génie civil durable, LCPC, 2009.
  2. Dossier « Journées techniques de la route dans les Pays-de-la-Loire », RGRA n° 774, juin 1999.
  3. P. Autret, J.-C. Gramsammer, « Le manège de fatigue du LCPC et l’innovation », RGRA n° 680, décembre 1990.
  4. Dossier « Ifsttar : les 35 ans du manège de fatigue français », RGRA n° 914-915, septembre-octobre 2013.
  5. M. Le Pivert, N. Hautière, F. Geisler, S. Pouget, Y. Leprince-Wang, « Les nanomatériaux au service des routes dépolluantes », RGRA n° 987, janvier 2022.
  6. M. Tassone, S. Barbier, « Transpolis : un site unique en Europe pour expérimenter de nouvelles solutions de mobilité », RGRA n° 958, octobre 2018.
  7. J.-M. Torrenti, X. Guillot, L. Izoret, J.-M. Potier, « Carbonatation accélérée des granulats de béton recyclé : résultats du projet national FastCarb », RGRA n° 997, mars-avril 2023.
  8. J. Blanc, E. Chailleux, P. Hornych, S. Pouget, L. Porot, C. Williams, J.-P. Planche, A. Jimenez Del Barco Carrion, D. Lo Presti, Y. Baudru, S. Trichet, T. Gouy, G. Coirier, « Projet Biorepavation – Évaluation de solutions de recyclage d’enrobés bitumineux employant des produits biosourcés », RGRA n° 973, juin 2020.
  9. H. Jacquot-Guimbal, « TRA 2014 : from Paris with Transport », RGRA n° 922, août-septembre 2022.

 

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