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L'UEMOA engage une politique routière concertée et harmonisée
Philippe LepertSpécialiste en gestion de l’entretien routier  - Société Logiroad

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Pour harmoniser l'entretien des routes communautaires, l'UEMOA, qui rassemble huit pays d'Afrique de l'Ouest, a sélectionné une liste d’indices de suivi de l’état de ces routes, à produire par les États membres. Puis elle a doté ces pays des outils nécessaires à cette tâche. Son choix s’est porté sur les outils d’aide à la gestion des routes L2R®. L’article expose comment se sont déroulées l’installation et la prise en main de ces outils.

L'UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) rassemble huit pays au sein d’une communauté créée le 10 janvier 1994 à Dakar. Elle a notamment pour objectif l’édification, en Afrique de l’Ouest, d’un espace économique harmonisé et intégré au sein duquel est assurée une totale liberté de circulation des personnes, des capitaux, des biens, des services et des facteurs de production. Huit États côtiers et sahéliens, liés par l’usage d’une monnaie commune, le Franc CFA – appelé à être remplacé par l’éco –, et bénéficiant de traditions culturelles communes, composent l’UEMOA : le Bénin, le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.

L’UEMOA couvre une superficie de 3 millions et demi de kilomètres carrés et compte plus de 120 millions d’habitants.

Parmi ses missions, l’UEMOA a en charge l’harmonisation des stratégies d’entretien routier applicables aux routes communautaires (figure 1), routes dont le rôle est stratégique dans le développement et l’équilibre des économies des pays membres. Il n’entre pas dans cette mission de gérer effectivement et opérationnellement l’entretien de ces routes, qui relève de chacun des pays traversés, mais plutôt de produire des spécifications concernant leur niveau de service et de veiller à ce que les pays en charge de cet entretien assurent, par leur action, ces niveaux de service.

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L’UEMOA et son réseau de routes communautaires.
L’UEMOA et son réseau de routes communautaires.

À cette fin, l’UEMOA a produit, en 2009, une directive1 qui dresse notamment une liste d’indices techniques de suivi de l’état des chaussées. À terme, il sera demandé aux États membres de faire remonter vers l’UEMOA, chaque année, les valeurs prises par ces indices sur les routes communautaires.

Pour assurer un suivi efficace de l’application de cette directive, l’UEMOA a entrepris de se doter d’un système d’informations routier (SIR) avec l’aide de l’Union européenne, vers lequel remonteront toutes les informations pertinentes sur la nature et l’état des routes communautaires ainsi que sur les sollicitations qui s’y appliquent (notamment le trafic). De la part des pays membres, cela suppose qu’un certain nombre de dispositions soient prises, en particulier pour :

  • recueillir sur les routes communautaires les dégradations présentes sur les chaussées, selon des règles homogènes ;
  • rassembler ces informations dans des bases de données identiques par leur technologie (donc capable de dialoguer) et homogènes dans leur contenu (a minima sur un noyau commun) ;
  • calculer, à partir de ces informations, les indices spécifiés dans la directive et les tenir à la disposition de l’UEMOA.

À cette fin, il fallait donc que les huit pays membres se dotent des outils nécessaires au recueil, au stoc- kage, au traitement et à l’exploitation des informations routières. L’UEMOA a pris l’initiative de cette vaste opération d’équipement, avec le soutien de l’Union européenne dans le cadre du 10e Fonds européen de développement (FED). Son choix s’est porté sur les outils d’aide à la gestion des routes L2R (Long Life Road – route durable), produits et installés par la société française Logiroad.

LA DIRECTIVE N° 11 DE L’UEMOA

Pour ce qui concerne le suivi de l’état des chaussées à structure hydrocarbonée, la directive définit une série de neuf indices de dégradation recouvrant les trois familles habituelles (tableau 1).

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Indices de dégradation selon la directive n° 11 de l’OEMA
Indices de dégradation selon la directive n° 11 de l’OEMA

En pratique, le relevé est exécuté par des équipes qui parcourent le réseau de routes en notant, au moyen d’une tablette (L2R Mesure), le début et la fin de chaque dégradation rencontrée. Ces points sont automatiquement localisés par GPS. En outre, chaque dégradation relevée est affectée d’une gravité traduisant son « état d’avancement ». Ces relevés sont ensuite introduits dans la base de données (L2R Base), grâce à laquelle elles peuvent notamment être représentées sous forme cartographique.

Lors de leur exploitation, ces données sont reprises (par L2R Programme) pour calculer des indices, à raison d’un par dégradation, en croisant extension et gravité. Ainsi, pour le faïençage, la matrice définie dans la directive est celle présentée dans le tableau 2.

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Critères de notation du faïençage.
Critères de notation du faïençage.

Ces indices sont, à leur tour, importés dans la base de données nationale, puis transmis à l’UEMOA pour être intégrés au SIR communautaire.

Vers une meilleure programmation de l’entretien routier et l’optimisation des ressourcesPaul Koffi Koffi, commissaire en charge de l’Aménagement du territoire communautaire et des Transports - UEMOA

Le transport routier constitue le principal mode de transport en Afrique de l’Ouest avec près de 90 % de part de trafic de voyageurs et de biens et services. À cet égard, il constitue un maillon essentiel de l’intégration économique et sociale de l’espace UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine). Il occupe donc une place de première importance dans les principaux programmes de l’UEMOA, notamment le Programme d’actions communautaire des infrastructures et transports routiers de l’UEMOA (PACITR) approuvé par la décision n° 7/2001 du 20 septembre 2001 et le Programme économique régional (PER), adopté en 2004, mis à jour en 2006 et 2012.
La directive n° 11/2009/CM/UEMOA du 25 septembre 2009, portant harmonisation des stratégies d’entretien routier, jette les bases techniques et financières pour l’entretien routier dans les États membres de l’UEMOA. La bonne connaissance du réseau et de son état se révèle donc une condition essentielle à la problématique de l’entretien routier dans les États, dans un contexte d’insuffisance des ressources face aux besoins d’entretien. Le diagnostic des dispositifs de gestion des données routières et de programmation de l’entretien routier, réalisé par la commission de l’UEMOA en 2010 lors de l’étude d’actualisation du PACITR et par la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) en 2015, avait conclu à :
• une diversité d’outils obsolètes des banques de données routières (BDR) des États membres,
• l’absence et la vieillesse des équipements,
• l’absence de ressources financières pérennes conduisant à la démobilisation du faible personnel encore en poste dans les services en charge de la gestion des données routières.
C’est pourquoi, grâce à un financement de l’Union européenne, la Commission de l’UEMOA a entrepris en 2019 de renforcer les capacités des banques de données des États membres, l’acquisition d’équipements, de matériels et de logiciels de relevé et de traitement des données et la formation des cadres. L’objectif est d’aboutir à une meilleure programmation de l’entretien routier et l’optimisation des ressources.

LES OUTILS

Les outils mis en œuvre sur les routes communautaires pour répondre aux attentes de la directive sont au nombre de trois : Mesure, Base et Programme. L’UEMOA a toutefois souhaité accompagner ce déploiement d’un quatrième système, l’UniBox2, qui mesure l’uni des routes et dont le rôle est très complémentaire des trois précédents.

L2R Mesure

Cette application, installée sur une tablette tactile Androïd, permet de faire des relevés visuels d’informations routières. Son usage principal est le relevé de dégradations de chaussée sur les routes revêtues comme sur les routes non revêtues, mais il est, dans certains des pays membres, étendu à d’autres objectifs tels que le relevé des dégradations d’ouvrage. Au lancement de l’application, un clavier virtuel apparaît sur l’écran de la tablette (figure 2), avec un ensemble de boutons dont chacun est affecté à une dégradation et une gravité. Lorsque le véhicule parcourt la route, sa position est tracée grâce au GPS de la tablette.

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Saisie d’informations avec L2R Mesure.
Saisie d’informations avec L2R Mesure.

Chaque fois que l’opérateur observe une dégradation, il presse sur le bouton correspondant et un enregistrement est créé dans un fichier de la tablette associant le type et la gravité de la dégradation avec le segment parcouru par le véhicule. C’est ce fichier qui est ensuite importé dans la base de données.

L2R Base

L2R Base est une base de données routière qui stocke l’ensemble des informations dont dispose le gestionnaire pour caractériser son réseau, le représenter sous forme de cartes (figure 3) ou de tables, faire des analyses statistiques et générer d’autres données par combinaison plus ou moins complexe de celles qui sont déjà présentes.

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Représentation de la gravité du faïençage sur les routes du Sénégal (y compris routes non communautaires) dans L2R Base.
Représentation de la gravité du faïençage sur les routes du Sénégal (y compris routes non communautaires) dans L2R Base.
AGEROUTE DU SÉNÉGAL

Le référentiel de la base est créé à partir de la nomenclature des routes donnée par le gestionnaire et de leur tracé, soit relevé par GPS, soit issu d’une base géographique existante. La base est normalement installée sur un serveur et peut être interrogée depuis différents postes via l’intranet du gestionnaire, voire même de l’extérieur du service via internet. Cette dernière possibilité sera exploitée par l’UEMOA au fur et à mesure que les ministères des huit pays disposeront de connexions internet fiables.

L2R Programme

L2R Programme est un logiciel qui a une double fonction :

  • Il calcule les notes d’état (figure 4) des sections routières, par tronçon de longueur fixe, paramétrable (généralement 100 ou 200 mètres). 
  • Il analyse les données routières pour proposer des préprogrammes de travaux sur deux ou trois ans.

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Les notes d’état du réseau revêtu de Côte d’Ivoire (y compris routes non communautaires) calculées dans L2R Programme.
Les notes d’état du réseau revêtu de Côte d’Ivoire (y compris routes non communautaires) calculées dans L2R Programme.
AGEROUTE DU SÉNÉGAL

L2R Programme relit les données qui sont dans la base routière, en les agrégeant par tronçon. Il les combine ensuite, tronçon par tronçon, selon un algorithme qui est paramétré dans le logiciel pour calculer un ou des indices. Cette fonction étant ouverte et paramétrable, il est possible à l’utilisateur de programmer des notes, d’état de structure, de surface ou globale, par exemple.

Par ailleurs, en appliquant à ces données des règles de décision définies par l’utilisateur, appelées « stratégies », L2R Programme identifie les besoins d’entretien du réseau, met ces besoins en priorité et bâtit ainsi des programmes pluriannuels d’entretien.

L2R Uni (UniBox)

L’UniBox est un outil conçu par l’Ifsttar (désormais université Gustave Eiffel) mais produit et diffusé par Logiroad2. Ce dispositif électronique associe, à l’intérieur d’un petit boîtier, un laser et un accéléromètre. Positionné sous le véhicule, ce boîtier mesure les variations du profil en long de la route avec une grande précision. Cette mesure est acquise par un ordinateur embarqué dans le véhicule, qui la transforme en enregistrement dans un fichier informatique. Ce fichier est ensuite analysé pour calculer l’IRI (International Roughness Index – indice de rugosité) ou des notes d’uni en bandes d’ondes. Ce sont ces données qui sont finalement transmises vers la base de données pour caractériser l’uni de la chaussée.

Il convient de noter que cet outil n’était pas indispensable pour l’application de la directive, mais qu’il est, à terme, de nature à quantifier les ondulations de façon plus objective et surtout à apporter des informations précieuses (IRI) pour la programmation de l’entretien.

INSTALLATION DES OUTILS ET FORMATION DES PERSONNELS

C’est en 2018 que l’UEMOA a contracté avec la société Logiroad pour équiper les huit pays membres des outils L2R. Concrètement, il s’agissait d’installer ces outils au sein des directions en charge des banques de données routières (BDR) de ces pays.

Pour réaliser cette opération, différentes interventions ont été programmées dans chacun des pays de l’UEMOA. Dans chaque pays, une mission d’une semaine de deux experts – l’un spécialiste de L2R Mesure, L2R Base et L2R Uni, l’autre spécialiste de L2R Programme – a été consacrée à l’installation proprement dite des matériels et logiciels et à une première prise en main par les personnels en charge de les mettre en œuvre ultérieurement. Dans certains pays qui se dotaient pour la première fois de ces équipements, une intervention supplémentaire d’une semaine d’un expert a été programmée pour approfondir la formation des équipes locales sur le relevé des dégradations des chaussées.

Les missions d’installation/formation se sont déroulées entre avril et novembre 2019. Dans deux cas (Mali et Côte d’Ivoire), ce sont les responsables de la BDR qui sont venus en France pour être formés. Dans les six autres cas, les experts se sont rendus sur place.

Les huit pays de l’UEMOA n’abordaient pas ce projet avec les mêmes acquis. Certes, tous avaient, à un moment de leur histoire au moins, appliqué une méthodologie de gestion rationnelle de l’entretien routier, notamment parce qu’ils s’étaient équipés d’une BDR, le plus souvent Visage, et l’avaient alimentée grâce à des relevés de dégradations de surface des chaussées faits avec Viziroad®. Le plus souvent, cette base n’avait plus été alimentée depuis un certain nombre d’années, voire avait été perdue à l’occasion de restructurations de services. En tout état de cause, ces outils étaient tombés en désuétude.

Depuis 2015, certains pays avaient entrepris de relancer une procédure de gestion rationnelle de l’entretien et s’étaient équipés de tout ou partie de la gamme d’outils L2R. D’autres redécouvraient cette approche et devaient s’équiper des outils précités. Le programme des missions d’installation/formation a donc été adapté à chaque cas.

Dans les pays déjà équipés des matériels et logiciels, qui avaient donc déjà engagé une modernisation de la gestion de l’entretien routier, la mission conduite dans le cadre du contrat UEMOA a surtout consisté à mettre à jour et, le cas échéant, à compléter le système L2R dont ils disposaient. Dans plusieurs de ces pays (Bénin, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Togo et Sénégal), des méthodes de relevé des dégradations de chaussées avaient déjà été mises en place et appliquées au cours des cinq dernières années.

Ils souhaitaient donc que la mise à jour de leurs moyens L2R permette d’assurer la continuité de leur processus de gestion. Il fallait pouvoir continuer d’exploiter les données recueillies les années précédentes, calculer les indices déjà définis et appliquer les stratégies d’entretien pour produire les programmes de travaux pluriannuels. Cette continuité imposait de prévoir une « passerelle » entre les données dont le recueil était nécessaire pour assurer la continuité du système de gestion national et celles dont le recueil était nécessaire pour appliquer la directive de l’UEMOA. Cette gestion de la transition a pu être préparée dans certains pays, mais demandera un peu plus de temps dans d’autres.

Concrètement, la plupart des pays pratiquant déjà un relevé des dégradations de surface des chaussées s’appuyaient sur les méthodes Vizir3 pour les routes revêtues et Vizirette4 pour les routes non revêtues.

La directive de l’UEMOA, qui ne concerne pas les routes non revêtues, conduit à appliquer, sur les routes revêtues, une méthode qui n’est que légèrement différente.

PROCHAINES ÉTAPES

Les huit pays de l’UEMOA disposent aujourd’hui de la gamme complète et à jour des produits L2R à l’exception de la Guinée-Bissau, qui n’a pas été équipée avec l’UniBox. Les objectifs de l’UEMOA, en matière d’équipement des pays membres, ont donc été atteints. Cette gamme contribue à produire les indices spécifiés par la directive n° 11 de l’UEMOA pour les chaussées hydrocarbonées, qui représentent, et de très loin, l’essentiel du réseau communautaire. Les indices sur les chaussées en béton pourront être produits par la suite, par un simple complément de configuration de L2R Programme.

Il reste aujourd’hui à mettre en œuvre ce dispositif pour que le SIR de l’UEMOA soit alimenté avec les indices sur l’ensemble du réseau communautaire. Cela implique que deux points soient traités :

  • L’homogénéité des relevés. D’une façon générale, les équipes chargées de relever les dégradations sur le terrain ont été formées par Logiroad selon un cadre commun, soit par le passé, soit au cours du contrat. Elles ont donc, globalement, une approche homogène. L’organisation d’essais croisés permettrait de s’en assurer, voire de renforcer cette homogénéité.
  • La transmission des données. Il s’agit de s’assurer, de façon très opérationnelle, que les valeurs des indices peuvent être transférées des bases de données des pays membres vers le SIR de l’UEMOA. Or, la majorité des pays ne disposent pas d’un accès internet robuste. Les produits L2R étant à même de palier cette difficulté, il convient de mettre provisoirement en place la procédure appropriée et de la vérifier.

CONCLUSION

La démarche mise en œuvre par l’UEMOA pour parvenir à une gestion concertée et homogène des grands axes routiers d’intérêt commun représente un effort sans précédent en Afrique. Elle démontre une vision claire et partagée des enjeux socio-économiques pour les pays membres et de l’intérêt d’agir collectivement pour répondre à ces enjeux.

Aujourd’hui, ces pays sont dotés d’un équipement commun, la gamme d’outils L2R, pour recueillir, exploiter et échanger les données routières telles que spécifiées dans la directive de l’UEMOA. C’est un pas décisif vers l’application de cette directive qui vient d’être franchi. Il faut maintenant que la mise en œuvre de ce dispositif soit pérennisée, ce qui implique une certaine stabilité dans les organisations nationales et dans leur personnel.

RÉFÉRENCES

1. Directive n° 11/2009/CM/UEMOA, portant harmonisation des stratégies d’entretien routier dans les États, 25 septembre 2009.

2. F. Menant, J.-M. Martin, D. Meignen, « Profil en long des infrastructures de transport – Un nouvel outil : l’UniBox », RGRA n° 934, février 2016.

3. P. Autret, J.-L. Brousse, Vizir : méthode assistée par ordinateur pour l’estimation des besoins en entretien d’un réseau routier, « Techniques et méthodes des laboratoires des Ponts et Chaussées », décembre 1991, Ifsttar.

4. P. Autret, J.-L. Brousse, « Viziret : qualification et quantification des dégradations non revêtues pour la programmation et le suivi des travaux d’entretien », BLPC n° 213, janvier-février 1998, Ifsttar.

 

 

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