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À l’horizon 2030, l’autoroute A6/A7, ici à hauteur de Pierre-Bénite, aura laissé la place à un boulevard urbain.
Grand Lyon

Covoiturage et Blockchain
Interopérer les services pour réduire le trafic urbain
Yann BriandChef de projet Innovation et R & D - IRT SystemX

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Le covoiturage1 pour les trajets quotidiens domicile-travail est l’une des solutions qui peut contribuer à réduire le trafic en milieu urbain. Pourtant, faute d’atteindre une masse critique grâce à un volume d’offres suffisant, son développement est limité. C’est pour lever ce frein qu’a été lancé le projet Lyon Covoiturage Expérimentation (LCE), porté par l’institut de recherche technologique (IRT) SystemX.

Le covoiturage domicile-travail concerne les charges pendulaires absorbées par les axes structurants et les réseaux périurbains qui relient zones de logements et bassins d’emplois. La thématique fait actuellement l’objet d’une dynamique institutionnelle : elle est l’une des orientations constitutives du bouquet de services multimodaux identifiés au sein du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM).

Il est prévu que les usagers du covoiturage bénéficient de compensations financières à travers le forfait mobilité durable, dans des proportions comparables au remboursement par les employeurs des abonnements de transport en commun. À ce titre, l’initiative de « registre national de preuves de covoiturage », porté par une start-up d’État, vise à constituer un tiers de confiance qui permettra demain de certifier des trajets covoiturés.

Par ailleurs, le covoiturage représente un marché libre au sein duquel des acteurs économiques génèrent des offres de services variées qui illustrent la diversité des besoins des usagers : trajets réguliers, trajets arrangés à l’avance, covoiturage dynamique en temps réel, etc. Au sein de cet écosystème, les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) jouent un rôle d’animateur, en assurant globalement la promotion d’un ensemble distribué et hétéroclite.

CONTEXTE DE LA MÉTROPOLE LYONNAISE

À l’échelle de la métropole lyonnaise, l’axe A6-A7 dessert les principaux pôles industriels et tertiaires du territoire, rabattant des voyageurs pendulaires au-delà de l’aire métropolitaine. 120 000 véhicules empruntent cet axe quotidiennement.

À l’horizon 2020, la métropole du Grand Lyon va requalifier 17 km de l’autoroute urbaine A6-A7 en boulevard urbain (figure 1). Quatre sections (en 2 x 3 voies) accueilleront des voies dynamiques à occupation multiple (VOM), qui – lorsqu’elles seront activées – seront réservées aux véhicules embarquant au moins 2 personnes, conducteur compris. Désactivées, ces VOM reprendront leur statut de voie de circulation standard.

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Périmètre du projet de requalification de l’autoroute urbaine A6-A7 en boulevard urbain.
Périmètre du projet de requalification de l’autoroute urbaine A6-A7 en boulevard urbain.
Grand Lyon

Le fonctionnement de l’ensemble vise à privilégier les véhicules embarquant un/des passager(s) par rapport aux conducteurs seuls : éligibles à l’usage de la VOM, ils bénéficieront de conditions de circulation améliorées et donc d’un temps de parcours optimisé. Chacune des quatre sections mesurera entre 4 et 5 km. Les travaux de requalification sur A6-A7 seront complétés par la réalisation d’aires de covoiturage autour de l’axe afin de canaliser le parking de véhicules et de matérialiser les points de rencontre entre conducteurs et passagers.

Cette typologie d’infrastructure représente en soi une innovation, les VOM dynamiques n’ayant pas été déployées précédemment à cette échelle dans des environnements aussi contraints. Cette évolution capacitive s’appuie sur une politique de mobilité ambitieuse combinant réduction de trafic et maintien de l’accessibilité métropolitaine, et visant à encourager les déplacements éco-responsables. La métropole a choisi de promouvoir le covoiturage pour relever ces défis : en aménageant et en exploitant une infrastructure spécifique et en organisant en parallèle une offre de covoiturage substantielle. La combinaison d’un service qualifié, de haut niveau, avec une infrastructure dédiée constitue le levier opérationnel qui sera mis en œuvre pour limiter l’autosolisme et ainsi augmenter le taux de remplissage des véhicules sur les trajets pendulaires.

VERROUS DU COVOITURAGE COURTE DISTANCE

L’organisation et l’optimisation de l’offre de covoiturage à l’échelle d’un territoire achoppe sur plusieurs problématiques : le marché étant libre, il est opéré par plusieurs acteurs qui proposent des offres différentes, adossées à des modèles

d’affaires distincts et supportées par des systèmes indépendants. L’écosystème du covoiturage agrège une variété d’opérateurs caractérisant la multiplicité des offres et des modèles d’affaires. L'interopérabilité est a priori impossible, en raison de la carence en standardisation entre les systèmes et de l’absence de tiers de confiance susceptible d’endosser le rôle central.

Ces particularités génèrent des freins à l’essor du covoiturage domicile-travail : les usagers sont généralement liés à un opérateur qui ne gère qu’une fraction de l’offre locale. L’incapacité d’accès à un marché consolidé porte globalement préjudice à la performance du service de covoiturage. La densité réelle de l’offre n’est pas restituée à l’usager, accroissant un déficit d’image et ne contribuant pas à atténuer la méfiance quant à la question du trajet retour. Pour faire face aux défis de cet environnement, la solution doit combiner les fonctionnalités suivantes :

  • mettre en relation des conducteurs et des passagers inscrits chez des opérateurs de covoiturage différents ;
  • assurer l’interopérabilité de services de covoiturage indépendants ;
  • assurer les transactions financières entre des clients inscrits chez des opérateurs différents ;
  • préserver la confidentialité des données sensibles ;
  • stimuler l’offre globale en préservant les parcours clients existants : ne pas créer d’interface supplémentaire, respecter la logique opérationnelle de chaque opérateur de covoiturage ;
  • ne pas créer un rôle de tiers de confiance central qui endosserait la responsabilité opérationnelle des systèmes interconnectés.

Les portails d’information qui consolident l’ensemble des offres de covoiturage sur un territoire ne répondent pas à ces problématiques : ils ne gèrent pas les transactions financières et imposent donc aux usagers de s’inscrire chez plu- sieurs fournisseurs, constituant de fait une surcouche non fonctionnelle dans le processus de réservation. Par ailleurs, ils ne sont pas en mesure d’associer une demande et une offre issues de deux opérateurs différents, ce qui illustre le cloisonnement du marché.

PROPOSITION DE VALEUR : LA PLATE-FORME D’INTEROPÉRABILITÉ BLOCKCHAIN

L’enjeu principal est de mettre en place une interopérabilité fonctionnelle. En l’absence de standards qui normalisent les interfaces d’échange et les services, il faut identifier les attributs communs entre chaque système. La solution proposée combine des fonctionnalités liées à l’interopérabilité, les notions de confiance et de traçabilité, les notions de sécurité et de confidentialité. À terme, elle doit contribuer à absorber un passage à l’échelle, c’est-à-dire un déploiement industriel.

IRT SystemX développe une plate-forme d’interopérabilité fondée sur une technologie blockchain. Cette technologie présente un certain nombre d’avantages susceptibles de répondre au cas d’usage décrit précédemment :

  • Elle s’appuie sur un registre distribué entre les acteurs qui consolide les transactions.
  • Elle intègre un protocole de cryptographie qui permet de préserver l’intégrité des données sensibles.
  • Elle régule les interactions entre acteurs à travers des processus automatisés prédéfinis.

La plate-forme d’interopérabilité pour le covoiturage fondée sur une technologie blockchain intègre plusieurs dimensions propres à l’exploitation d’un tel service : la gestion d’offres et de demandes, les transactions financières et l’interopérabilité technologique. Elle s’appuie sur la proposition de valeur suivante :

  • une plate-forme d’intermédiation neutre et technologiquement agnostique sur laquelle les opérateurs peuvent se connecter sur la base d’attributs communs, assurant une interopérabilité fonctionnelle ;
  • une plate-forme pouvant agréger les services en assurant la confiance entre les opérateurs et la sécurité des opérations, notamment financières ;
  • un système autorisant la mise en œuvre d’une gouvernance ad hoc, pilotée par les ayants droit ;
  • la nécessaire traçabilité des opérations au sein d’un système multi-acteurs ;
  • une technologie supportant le passage à l’échelle et l’accroissement des transactions en conservant la performance opérationnelle des services interopérés ;
  • une approche résolument orientée vers l’usager, à travers la préservation des parcours clients existants, sans créer d’interface supplémentaire ;
  • un système garantissant la confiance des opérateurs et des usagers.

Cette plate-forme aura pour objectif d’interconnecter des systèmes opérationnels en augmentant globalement le niveau de service (figure 2). L’utilisateur consultera son application habituelle et, pour un trajet donné, cette dernière lui renverra les offres des autres opérateurs en plus ce celles relevant de son fournisseur. L’usager sera en capacité de rentrer en contact avec les utilisateurs des autres plates-formes à travers son interface usuelle. Enfin, il pourra s’apparier avec un utilisateur inscrit sur une autre plate-forme et procéder à un covoiturage interopérateurs. Chaque usager évoluera dans le cadre fonctionnel et financier de son opérateur, l’interfaçage entre services répondant à des processus définis au préalable.

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Apports de la solution blockchain, cas d'usage du covoiturage.
Apports de la solution blockchain, cas d'usage du covoiturage.
IRT SystemX

Cette solution fait l’objet d’un projet de recherche et développement collaboratif piloté par l’IRT SystemX, regroupant les opérateurs de covoiturage iDVROOM, Ridygo et Ecov. Elle sera expérimentée en 2020 dans le cadre de la mise en service de l’axe A6-A7 requalifié.

MASSIFIER POUR CRÉDIBILISER

La plate-forme d’interopérabilité blockchain s’appuie sur un objectif prioritaire : la massification de l’offre. Le covoiturage domicile-travail représente aujourd’hui une part réduite des trajets et il pâtit du fractionnement du marché, faible en volume et dispersé.

Les usagers motivés ne sont pas certains de satisfaire leur besoin auprès de leur opérateur, mais des offres pertinentes peuvent pourtant être disponibles sur le territoire. Cet état de fait, qui renforce la frilosité des usagers à l’égard du covoiturage, est accentuée par l’appréhension du trajet « retour ».

L’effet de levier généré par la plate-forme d’interopérabilité est la consolidation des offres à l’échelle d’un territoire (figure 3). Il permet en effet de massifier le service global de covoiturage et ainsi de le rendre crédible auprès des usagers existants et potentiels.

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Plate-forme d'interopérabilité blockchain : approche fonctionnelle.
Plate-forme d'interopérabilité blockchain : approche fonctionnelle.
IRT SystemX

LA BLOCKCHAIN : CATALYSEUR DU COVOITURAGE DOMICILE-TRAVAIL

Le développement du covoiturage s’appuie essentiellement sur les usagers de la route, qu’ils soient passagers ou conducteurs. L’environnement de service et l’interface homme-machine sont des composantes essentielles d’attractivité et de conservation des usagers, au même titre que les modèles d’affaires. Dans ce contexte concurrentiel, il convient de laisser les fournisseurs de services exercer leur expertise et générer des offres adaptées à leurs marchés cibles.

Dans ce cas d’usage, le choix d’une solution fondée sur une technologie blockchain est motivé par les apports fonctionnels suivants :

  • un ensemble de fonctionnalités natives (traçabilité, notarisation des échanges, authenticité, gestion des droits via la signature numérique, routage des requêtes implicite, suivi des indicateurs d’activité, résilience du service) qui répondent aux besoins d’exploitation des services de covoiturage ;
  • la transparence sur le traitement des demandes via des « smart contract » (égalité de traitement entre opérateurs) ainsi que sur les coûts (fixes et variables) éliminant la surfacturation d’un tiers de confiance ;
  • un niveau de confidentialité élevé (anonymisation et chiffrement) ;
  • le passage à l’échelle (volume de transactions par minute) adapté au cas d’usage ;
  • la gouvernance du consortium décentralisée et sans acteur dominant ;
  • la possibilité de mettre en œuvre des mécanismes d’incitation s’appuyant sur des tokens (jetons virtuels).

La technologie blockchain présente l’avantage de créer un environnement de confiance entre opérateurs en supportant la consolidation d’une place de marché plus développée et plus dynamique, agrégeant un volume d’offres et de demandes supérieur pour le bénéfice des usagers.

Dans cette configuration, l’AOM contribuant à la mise en place d’une telle plate-forme se positionne en animateur du covoiturage, ce qui garantit un accès maximisé des offres aux usagers. La gestion décentralisée et la désintermédiation rendent caduque le rôle de tiers de confiance ainsi que les risques et responsabilités associés. L’exploitation de la plate-forme n’est pas de nature à générer un coût supérieur qui imposerait la mise en place de commissions.

De plus, cette technologie est particulièrement adaptée à la génération et à la distribution d’incitatifs auprès des usagers, à travers l’utilisation de tokens, jetons virtuels valorisables sur des services tiers (accès privilégiés à des places de parking, réductions transport, offres combinées, etc.). L’AOM voit dans ce cadre son rôle se recentrer sur ses missions d’animation et d’incitation.

Pour les opérateurs, l’absence d’un tiers permet de définir un mode de gouvernance propre aux parties prenantes couvrant les modalités d’exploitation mais aussi les futures évolutions de service, sur une base de consensus. La mise en place d’une chambre de compensation couvre les échanges financiers entre opérateurs et orchestre les flux selon des mécanismes identifiés et définis a priori. Leur automatisation et leur traçabilité est une garantie de bonne gouvernance partenariale. Enfin, le maintien d’un niveau de confidentialité dans les contenus partagés limite les risques de concurrence déloyale : un opérateur ne pourra ainsi pas récupérer les données relatives aux clients de ses concurrents.

L’IRT SystemXCréé en 2013 par le gouvernement dans le but de soutenir l’innovation en France, l’IRT SystemX a mis en place 40 projets de recherche depuis son lancement (dont 28 en cours), impliquant plus de 100 partenaires industriels et 27 laboratoires pour des engagements financiers à hauteur de 130 millions d’euros. SystemX se positionne comme un accélérateur de la transformation numérique. Centrés sur l’ingénierie numérique des systèmes, les projets de recherche au sein de l’institut répondent aux défis que rencontrent les industriels dans les phases de conception, de modélisation, de simulation et d’expérimentation de produits et services futurs basés sur des technologies digitales.

PRÉSERVER LES PARCOURS UTILISATEURS

Du point de vue de l’utilisateur, l’expérience courante sera préservée. Aucun nouveau portail ni aucune nouvelle interface utilisateur supplémentaire ne seront développés. L’utilisateur final, qu’il soit passager ou conducteur, continuera à utiliser les services de son opérateur habituel, sans avoir à s’inscrire sur un portail supplémentaire. Au sein de son interface habituelle, il se verra présenter des offres provenant d’autres opérateurs sans que cela dégrade les performances du système. L’interconnexion entre les différents opérateurs sera établie selon le Règlement européen général sur la protection des données (RGPD), assurant la protection et la confidentialité des données personnelles (figure 4).

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Parcours utilisateurs aboutissant à un covoiturage interopérateurs.
Parcours utilisateurs aboutissant à un covoiturage interopérateurs.
IRT SystemX

IMPACTS

Le potentiel de la blockchain à interconnecter des places de marché isolées et à structurer et fluidifier un marché global constitue un accélérateur technologique pour le covoiturage courte distance. Toutefois, cette solution ne saurait constituer une réponse exclusive à des enjeux de mobilité intriqués et complexes. Elle doit être combinée à une politique adaptée associant conduite du changement auprès des usagers, mesures incitatives et campagne de communication. Ces approches doivent contribuer à identifier les populations d’usagers pendulaires les plus à même de faire évoluer leurs pratiques afin de cibler à leur endroit les mesures stimulantes.

Selon un rapport de l’Ademe de 20162, le covoiturage domicile-travail représente environ 3 % des déplacements pendulaires. L’enjeu à court terme n’est pas de convaincre 50 % des conducteurs qu’ils doivent covoiturer mais bien d’inciter de façon ciblée les usagers à même de faire évoluer leur comportement. Ces efforts sur le taux de remplissage des véhicules devront nécessairement combiner pédagogie, communication, bonifications et/ou compensations. Cette plate-forme constitue le support technologique qui vise à en garantir l’efficacité.

PROJET LYON COVOITURAGE EXPÉRIMENTATION

Le développement de cette solution s’inscrit dans le cadre du projet de recherche et développement Lyon Covoiturage Expérimentation (LCE), porté par l’institut de recherche technologique (IRT ) SystemX. Au-delà de la plate-forme de covoiturage, ce projet concerne les verrous de la modélisation et de la régulation des voies dynamiques réservées aux véhicules à occupation multiple, ainsi que l’automatisation des systèmes de contrôle permettant de mesurer le nombre d’occupants des véhicules (figure 5). Des études sur l’identification des populations cibles et les mesures incitatives supportant le passage à l’échelle du service viennent complèter les travaux techniques.

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Activités du projet Lyon.
Activités du projet Lyon.
IRT SystemX

RÉFÉRENCES

  1. La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour une croissance verte (TECV) définit le covoiturage (article L. 3132-1 du code des Transports)
  2. Ademe, « Synthèse technique relative au développement du covoiturage régulier de courte et moyenne distance », septembre 2016.

Revue RGRA