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Réalisation de la ligne de Chronobus C5 parcourant l’île de Nantes d’est en ouest, en Loire-Atlantique.
Colas/Jean-Dominique Billaud/Nautilus Photographie

Impact de la révolution des usages de la mobilité sur les infrastructures routières et leurs équipements
Étude Mire
Timothée MangeartTDIE

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À l’heure où des transformations majeures sont annoncées pour le secteur des transports, et alors même que les pratiques ont déjà commencé à évoluer, l’impact de ces transformations sur l’infrastructure est peu discuté. C’est pour prendre la mesure de cet impact que TDIE, Atec ITS France, l’Idrrim, l’Ifsttar et Routes de France ont réalisé une étude dont cet article présente les principaux enseignements.

Les mobilités traversent une période de mutation. Confrontées au double défi de la transition écologique et de la transition numérique, elles doivent s’adapter pour mieux répondre aux attentes des usagers et de la société. En plus des exigences pratiques et économiques s’ajoutent par exemple des exigences en termes d’émissions de gaz à effets de serre (GES) et de santé publique.

L’INFRASTRUCTURE AU CŒUR DES MUTATIONS DES MOBILITÉS

Les pratiques émergentes diffèrent selon les territoires, mais elles prennent place partout sur la route. Dans les centres urbains, les modes dits « actifs » et les véhicules en free-floating viennent compléter l’offre de mobilité, tandis que les VTC (véhicules de transport avec chauffeur) démocratisent la mobilité servicielle. Entre les villes, les nouveaux cars longue distance et le covoiturage sont en concurrence pour la moyenne distance.

À ces dynamiques déjà observables s’ajoutent des tendances de plus long terme et dont l’impact réel est plus difficile à évaluer :

  • La motorisation des véhicules évolue et les progrès techniques permettent d’espérer une diminution des émissions, aussi bien de GES que de particules fines. En parallèle, les ventes de véhicules électriques progressent et la technologie hydrogène continue de se développer.
  • Les pouvoirs publics, au niveau européen, national et local, prennent des engagements toujours plus ambitieux dans la perspective d’une diminution drastique des émissions globales.
  • Dans le même temps, la métropolisation toujours en cours – la concentration des personnes et des activités – couplée aux nouveaux outils numériques favorise l’émergence de services de mobilité où l’importance est donnée au trajet, au déplacement proprement dit, plutôt qu’au mode de transport (Mobility as a Service (MaaS)). Les besoins de mobilité s’accroissent, et l’intermodalité progresse.
  • Enfin, les expérimentations dans le cadre du déploiement du véhicule autonome se multiplient dans des configurations diverses, avec déjà des véhicules à fort niveau d’autonomie en circulation.

Quelles que soient les mutations à venir, la route en tant qu’infrastructure restera un élément central du système de mobilité. Elle représente aujourd’hui près de 85 % des déplacements de voyageurs. Les raisons qui ont généré son hégémonie à l’époque du véhicule individuel seront toujours valables, même si celui-ci venait à être concurrencé. En effet, la route possède deux atouts qui la rendent incontournable :

  • Son universalité : elle offre une surface de roulage praticable par à peu près n’importe quel véhicule, avec a priori peu de standardisation.
  • Sa performance : elle est la seule infrastructure grâce à laquelle on peut accéder à l’ensemble du territoire, en assurant aussi bien les dessertes locales que les déplacements de grande distance. Le défi est donc de penser l’adaptation du système de mobilité dans son ensemble en incluant dès le début de la réflexion la question de l’infrastructure.

CHANGEMENT CLIMATIQUE ET SANTÉ PUBLIQUE

En France, la mobilité routière représente environ un tiers de la consommation énergétique et un tiers des émissions de GES, une proportion qui reste stable. La route a donc un rôle important à jouer dans la transition énergétique. Cela passe aussi bien par les techniques de construction que par l’alimentation énergétique.

La raréfaction des ressources et l’augmentation des coûts de mise en décharge doit orienter les constructeurs vers des procédés plus sobres et les inciter à passer à une logique d’analyse par cycle de vie. L’opportunité des différents modes d’alimentation présentés comme ayant un moindre impact pour l’environnement (principalement le gaz, l’électrique et l’hydrogène) étant incertaine, il est difficile d’envisager un déploiement massif de stations de recharge à court ou moyen terme. Cependant, si l’Ademe ne prévoit que 4 % de véhicules électriques en 2030, l’interdiction des véhicules thermiques en milieu urbain pourrait accélérer cette transition (figure 1). Paris, comme d’autres villes européennes, a déjà annoncé son souhait de refuser la circulation des véhicules thermiques à partir 2030.

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Ventes de véhicules particuliers neufs, Actualisation du scénario Énergie-Climat Ademe 2035-2050, Ademe, 2017.
Ventes de véhicules particuliers neufs, Actualisation du scénario Énergie-Climat Ademe 2035-2050, Ademe, 2017.

Ces évolutions posent aussi des questions industrielles. Des territoires commencent déjà à se spécialiser sur des technologies émergentes, à l’image des Hauts-de-France avec l’hydrogène. Les grands groupes se positionnent sur le sujet, comme Renault, qui a très tôt choisi le tout électrique. Face à la concurrence chinoise et étasunienne notamment, un soutien européen à l’émergence d’une industrie européenne de la batterie est évoqué. Des recherches et des expérimentations sont lancées pour des dispositifs de recharge par conduction ou induction. Les choix stratégiques devront être faits de manière cohérente dans une vision globale de la transition, de l’infrastructure au véhicule. C’est le sens du partenariat signé entre la plate-forme automobile (PFA) et Routes de France.

Dans une démarche proactive, l’infrastructure peut avoir un rôle positif :

  • Avec la recarbonatation du béton recyclé, la route peut piéger le CO2 et devenir un puits de carbone.
  • Les matériaux photocatalytiques peuvent participer à l’amélioration de la qualité de l’air en dégradant les particules polluantes.
  • La grande emprise que représentent la route et ses dépendances constitue un potentiel foncier pour l’implantation de solutions de production d’énergie.
  • Si des véhicules à batterie sont produits en grand nombre, il pourrait devenir envisageable de mettre à profit leur capacité de stockage pour optimiser la consommation énergétique, en stockant l’excédent de production dans les batteries de véhicules à l’arrêt pour le réutiliser ultérieurement.

MONDE NUMÉRIQUE ET MONDE PHYSIQUE

Le véhicule autonome fait aujourd’hui figure de solution prometteuse pour répondre à la fois aux enjeux de sécurité routière et de congestion. Ces deux points font encore débat.

Sur le premier, et au-delà de la question éthique, la démonstration reste encore à faire que les erreurs de la machine seront moins fréquentes que les erreurs humaines. Le recours à l’intelligence artificielle complique la preuve de la fiabilité des algorithmes embarqués et la compréhension de leurs mécanismes de prise de décision, ce qui constitue un enjeu légal important. Pour l’instant, la convention de Vienne de 1968 (révisée en 2016) requiert qu’une personne soit à bord du véhicule lorsqu’il se déplace, et la loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) prévoit que, dans le cadre d’une expérimentation, un superviseur extérieur puisse reprendre le contrôle du véhicule. Ensuite, confier la conduite à un algorithme pose la question évidente de la sécurité face aux attaques externes, de la simple protection des données personnelles au risque de perte de contrôle du véhicule.

Similairement, il n’est pas du tout certain que le véhicule autonome réduise la congestion, au contraire. En fait, l’effet sur le trafic et l’occupation de l’espace public est très dépendant du cas d’usage pour le véhicule autonome : navette autonome, robotaxi, véhicule privé. Ainsi, une étude prospective menée conjointement par le Cercle des transports et Roland Berger sur le potentiel des véhicules autonomes sur le territoire de l’Île-de-France conclut que l’introduction de la technologie autonome n’entraînerait qu’une diminution faible du parc automobile à l’horizon 2050, de 14 à 24 %, et au contraire une augmentation de la congestion en centre-ville (+ 8 %).

Quoiqu’il en soit, le déploiement du véhicule autonome passe aussi par la route hybride (figure 2). Il est a priori plus efficace de doter l’infrastructure de la capacité de communiquer son état au véhicule que d’apprendre au véhicule à reconnaître les indications destinées à être interprétées par des conducteurs humains. Cela passe notamment par l’information géographique haute définition et la création de jumeaux numériques des territoires constamment mis à jour. Mais une partie de l’acquisition d’information devra immanquablement se faire en temps réel, ne serait-ce que pour gérer les variations du trafic ou de la météo. La généralisation de technologies de communication est donc cruciale. Cependant, la question du coût et de la rapidité de l’équipement du réseau routier existant est posée, avec le risque de créer une nouvelle fracture numérique pour des territoires non accessibles au véhicule autonome.

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Les technologies des routes de 5e génération (R5G).
Les technologies des routes de 5e génération (R5G).

Par ailleurs, le développement de ces nouvelles fonctionnalités apportées par la route n’est envisageable que si sa fonction première – celle de pouvoir circuler sur une infrastructure en bon état et entretenue – est correctement et durablement assurée. Le défi, pour les gestionnaires routiers, de l’entretien et de la modernisation du patrimoine considérable que constitue l’ensemble du réseau ne peut être disjoint de celui de son adaptation aux nouvelles formes de mobilité.

En attendant une éventuelle généralisation du véhicule autonome, la révolution numérique transforme déjà les mobilités. Aujourd’hui, le smartphone est devenu le premier outil pour nombre de déplacements, notamment quand ils sont associés à des hubs d’intermodalité (nécessaires par exemple pour le covoiturage). Si l’automatisation peut faire craindre la disparition de certains métiers, la mobilité servicielle en a déjà créé de nouveaux, et l’importance grandissante des données pour la gestion de la mobilité confère un rôle croissant aux géants du numérique face aux constructeurs traditionnels d’une part et face aux autorités organisatrices de mobilité d’autre part. Il faut donc engager une réflexion sur l’intégration de ces nouveaux acteurs dans l’écosystème des mobilités, qui comprend aussi l’infrastructure.

UNE APPROCHE INTÉGRÉE

Il existe de fortes incertitudes quant aux mutations à venir pour le monde des transports. Mais, sans faire de pari sur ce qu’elles seront, il est essentiel d’inclure l’ensemble des acteurs dans la réflexion stratégique pour assurer un développement harmonieux du secteur dans son entièreté. Cela passe par la reconnaissance du rôle central que joue la route dans les mobilités d’aujourd’hui et de demain et par l’intégration des problématiques des constructeurs et gestionnaires d’infrastructures dans le débat (figure 3). Par exemple, les grilles d’analyse des expérimentations doivent intégrer la question de l’infrastructure.

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Vision schématique des stratégies possibles pour le déploiement de la mobilité autonome.
Vision schématique des stratégies possibles pour le déploiement de la mobilité autonome.

Les mobilités de demain ne s’affranchiront pas de la route. Face à ces transformations, l’infrastructure doit rester modulable pour garantir son accessibilité à une grande diversité de véhicules et donc sa capacité à continuer à être un espace d’innovation. Ce sont autant les innovations technologiques que les capacités à les intégrer aux systèmes de mobilité qui garantiront leur bénéfice au plus grand nombre.

Revue RGRA